Sarkozy s’en prend à Chirac
Sans doute, en pourfendeur de la repentance nationale, Nicolas Sarkozy avait-il eu du mal à digérer la position adoptée en 1995 par le président Chirac, qui reconnaissait pour la première fois le rôle de l’État français dans la persécution des juifs. Hier, lors de la commémoration du 8 Mai, l’actuel locataire de l’Élysée s’est ostensiblement éloigné de cette thèse en affirmant que « la vraie France, elle n’était pas à Vichy, elle n’était pas dans la collaboration », une manière déguisée, au-delà d’une formule attrape-tout, d’effectuer un retour en arrière difficilement explicable aujourd’hui sur la responsabilité de la France. Outre les convictions personnelles de Nicolas Sarkozy sur la question, ce positionnement lui permet de renouer avec un thème qui lui est cher : celui de la rupture. À cet égard, la figure tutélaire de Jacques Chirac lui a toujours été d’un secours inestimable. Et elle lui a facilité la victoire à l’élection présidentielle, lui évitant l’écueil redoutable d’être perçu comme un sortant.
Deux jours plus tôt, c’est dans un tout autre contexte, alors qu’il recevait les députés UMP perclus de doutes, que la thématique avait servi. Car, sur la forme, il a aussi sa méthode : une invitation solennelle dans les ors de la République.
Et il fallait au moins le salon d’honneur de l’Élysée pour recevoir des députés UMP encore ébranlés par la claque magistrale reçue lors des dernières municipales. Avant eux, les pêcheurs du Guilvinec ou les ouvriers de Grandange étaient venus ici faire le deuil des promesses inconsidérées d’un président en campagne perpétuelle. Mais à la sortie, l’acharnement de Nicolas Sarkozy à rendre responsable la presse (voir en page 18) et les attaques réitérées contre Jacques Chirac ont agacé plus d’un parlementaire. « Lors de ce déjeuner, Jacques Chirac et la presse en ont pris plein la gueule », s’énervait le député de l’Hérault Jean-Pierre Grand, proche de Dominique de Villepin.
Pour relativiser les scores désastreux de la droite lors des élections locales et minimiser sa propre responsabilité, le président a, une de fois de plus, donné Chirac en contre-exemple : « Il a mis vingt et un ans pour se faire élire, je l’ai été du premier coup », et remontant plus loin encore, pour indiquer que le général de Gaulle avait été « vainqueur à une voix de majorité aux législatives de 1967 ». Pas de quoi rassurer un auditoire déjà troublé.
De son côté, Jean François Copé, chef de file des députés UMP, estimait que le président avait été « objectivement bon ». Ce dernier, qui milite pour une contribution plus forte du groupe UMP, notamment concernant la réforme institutionnelle, aurait eu droit à un cinglant rappel à l’ordre de Sarkozy. « L’UMP et le groupe ne doivent pas être en opposition avec le gouvernement. Ce n’est pas à eux de demander un report ou une annulation des réformes », aurait prévenu le chef de l’État.
Roger Karoutchi, fidèle secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, tentait pourtant maladroitement d’apaiser l’atmosphère en déclarant : « Il n’y a eu ni critiques ni attaques contre qui que ce soit, je le dis pour que, politiquement, on n’en fasse pas une affaire. »
Frédéric Durand, "L'Humanité" du samedi 9 mai 2008