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Andrée OGER, conseillère départementale communiste de l'Eure Andrée OGER est maire honoraire de Croth, conseillère départementale de Saint André de l'Eure et chevalier de la Légion d'Honneur.

Mouvement social : la majorité invisible

Solidaire

Nous reprenons ici un long mais intéressant article de Jean Lévy sur l'ampleur des mobilisations sociales locales en France, mobilisations dont, bien évidemment, nos médias ne se font pas l'écho. Il ne faudrait surtout pas que le monde du travail se rappelle que c'est lui qui détient la clé de l'Histoire !

Solidaire

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Arguments pour la lutte sociale

Cinquante grévistes à la base logistique de Saint-Césaire (Gard) le vendredi 15 décembre avec CGT et FO, sur les conditions de travail.

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Grève au centre logistique de Derichebourg, qui travaille pour Chronopost, à Courcelles-les-Lens, pour des paniers repas, le 13° mois et une prime d’habillement, avec la CGT

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​​​​Grève des guichetiers SNCF à Calais contre 4 suppressions de postes, avec la CGT 10% de grévistes selon la direction, mais depuis deux semaines, avec CGT, CFDT et UNSA,

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Grève à l’usine de retraitement de déchets nucléaires d’Areva à La Hague, contre la suppression de la récupération des jours fériés travaillés.

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Grève des facteurs à Mende depuis le 13 décembre pour la création d’un emploi.

Très nombreuses grèves, arrêts ponctuels et rassemblements dans les centres hospitaliers contre les suppressions de postes et de lits et pour des ouvertures.

Plusieurs de ces combats arrachent des victoires partielles. Pendant 45 jours les agents de nettoyage des gares du Transilien au Nord de Paris – Saint-Denis, Hermont Eaubone, Garges, Sarcelles, 75 gares en tout –

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A Clermont-Ferrand et les 14 communes de ClermontAuvergne « métropole », les éboueurs, salariés de Véolia que paye pareillement la collectivité, ont fait grève pendant 4 jours, à 90% de grévistes, obtenant la création de groupes de travail syndicats-direction pour « le respect et le savoir-vivre dans l’entreprise ».

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Le chiffrage des luttes « locales » et « partielles » est très difficile.

Souvent un heurt, un conflit, ne va pas forcément jusqu’à la grève proprement dite. Ces luttes restent « invisibles » et il y a là une très lourde responsabilité des médias, certes, qui souvent (sauf parfois la presse locale, et encore !), ne les appréhendent que sous l’angle des « désagréments » pour la population (comme si les grévistes ne faisaient pas partie de la population !), mais aussi une responsabilité des confédérations syndicales et fédérations nationales, car si ces conflits étaient « visibles » comme ils le devraient, alors on passerait du sentiment d’un bruit de fond diffus fait de combats locaux et partiels, à celui d’un mouvement général d’ensemble, car bien entendu les revendications sont les mêmes.

Au lieu de cogiter sur la « morosité », bien des couches militantes devraient se pencher sur les mouvements réels. Leurs caractéristiques communes sont frappantes.​​​​​​​

Premièrement, les secteurs concernés : notamment, mais pas seulement bien sûr, des entreprises privées travaillant ou sous-traitant pour les collectivités, la santé, la logistique et les transports. Cette constatation ne signifie pas que ces luttes seraient sectorielles, au contraire, elles sont à la charnière de différents secteurs, ceux des « invisibles » en fait indispensables à la circulation générale du capital. Leur arrêt en masse bloquerait la production capitaliste aussi efficacement qu’en son temps celui des plus grosses usines …

Deuxièmement les principales revendications sont salariales, en prenant tous les biais, à savoir les salaires, mais aussi la défense ou l’exigence de primes, de 13° mois, de paiement des heures sup’, de paniers repas, d’indemnités, de refus du vol des jours fériés de fait rattrapés, ce que permet par exemple l’annualisation du temps de travail chez les agents de l’éducation nationale (transférés aux départements et aux régions depuis 2004), en l’absence d’accords qui l’empêchent. Ces revendications se font de plus en plus âpres. Il est de plus en plus délicat de faire en elles la part du « défensif » et de l’ « offensif » car ici on veut préserver une prime, là on veut l’obtenir, ou encore on veut compenser la baisse du pouvoir d’achat en arrachant des gains sur les déplacements, prime d’habillage ou paniers repas. On mesure là, au passage, l’importance de l’accord arraché dans les transports routiers qui contredit les ordonnances Macron contre le code du travail en maintenant le niveau de la branche pour ce qui concerne les frais de route et de longs trajets. Toute la logique des revendications salariales qui s’expriment va d’ailleurs frontalement à l’encontre de la logique de ces ordonnances. Ainsi les femmes de ménage d’ONET ont voulu, et obtenu, le rattachement à la convention collective de la manutention ferroviaire. Attisée par la réalité de de la situation matérielle des gens, la revendication salariale est saisie comme impérative parce que l’on sait que l’exécutif, que Macron et Philippe, veulent taper. « C’est autant qu’ils ne nous auront pas pris« . Macron promet des gains de pouvoir d’achat en s’en prenant à la part salariale qui fait vivre la Sécurité sociale ? « Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras« . Absence totale de confiance dans les gouvernants et conscience qu’ils sont là pour faire baisser les salaires forment la trame de fond, hautement politique, de la question des moyens de vivre pour les gens et pour leurs enfants.

Troisièmement, la « couleur » des revendications est faite d’exigence de dignité, de susceptibilité devant le mépris patronal et hiérarchique. Rythme de travail, stress, pressions, ambiance morale et harcèlement sont des thèmes de plus en plus fréquents. A nouveau chez la filiale d’ONET, H. Reinier, se tenait mi-novembre le procès de 4 femmes contre un chef d’équipe pour harcèlement sexuel -elles ont gagné, mais 4 ans après les faits. La question du manque de respect ouvre sur celle des relations de travail et des relations humaines en général. Là encore, la logique spontanée issue des conditions de vie et de travail des gens se heurte de front à celle des ordonnances Macron contre le code du travail, lesquelles noient les Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail dans des instances représentatives fourre-tout et affaiblies, autrement dit les liquident (sauf accord local qui les préserve). Or, les CHSCT avaient un rôle croissant, lié en grande partie à l’affaiblissement des formes plus traditionnelles de syndicalisme conduisant à une judiciarisation et une médicalisation croissante des problèmes créés par l’exploitation capitaliste. Dans beaucoup d’entreprises surtout grandes et moyennes, ainsi que dans la fonction publique, les syndicats commençaient à reconstruire des biais d’intervention sur les thématiques dites « psycho-sociales », c’est-à-dire les rapports de domination dans l’entreprise ou le service. Il n’est pas sûr que le grand affaiblissement des CHSCT porté par les ordonnances Macron soit un bon calcul pour le gouvernement et pour le patronat, car faute de médiation, ces thèmes surgissent dans tout véritable conflit, lorsque les gens, et particulièrement les femmes, se mettent à s’exprimer.

Quatrièmement, si des sections syndicales ne sont pas toujours présentes au départ, ce sont tout de même souvent elles qui initient ces conflits et en tout cas les salariés vont toujours les chercher. Ils prennent ce qui se présente et sont contents qu’il y en ait plusieurs et si possible tout le monde. Les femmes d’origine africaine déléguées SUD et CFDT à ONET sont devenues déléguées dans la grève et elles arborent leur chasuble fluo aux couleurs du syndicat avec fierté. En général, les sections syndicales de base, quelle que soit leur affiliation, la CGT étant la plus présente, sont pleinement investies. Dans la vie de tous les jours on ne parle pas, on fait mine de rire sous cape, du syndicat, mais quand le pas d’une action collective est franchi, quand bien même cette action se fait à deux ou trois ou quatre ou cinq, la référence syndicale et son affichage est perçue comme nécessaire. Mais en même temps, il y a déconnexion totale entre cet investissement des sections syndicales de base et les mots d’ordre nationaux. A leur « invisibilité » non seulement dans la politique nationale et dans les médias, mais souvent aussi dans l’expression syndicale nationale confédérale ou fédérale (au delà de la mise en exergue du « bon exemple » local), répond l’invisibilité, ou la dilution dans l’indifférence, à la base, du mot d’ordre national. Il est vrai que nous n’avons plus eu de journées nationales d’action depuis le 16 novembre, ce qui ne fait jamais que quelques semaines. Mais leur absence ne gène en rien le développement de ces luttes -on serait presque tenté de dire qu’au contraire, il n’est pas plus mal qu’elles ne viennent point interférer …

Cette situation n’est pas nouvelle même si elle ne doit pas faire l’objet d’une interprétation qui la systématise. L’appel de la CGT avec la FSU et Solidaires, relayé par la plupart des unions et sections départementales FO, le 12 septembre, a été perçu comme ce qu’il était : le premier rassemblement d’ensemble contre l’exécutif pro-patronal de Macron, et la grève unitaire du 10 octobre dans la fonction publique a été saisie par la plupart des personnels concernés (les catégories C plus que les B et les B plus que les A). Mais globalement les journées d’actions et actions nationales ne sont plus saisies comme de « vraies grèves » et se connectent rarement avec la multitude des conflits « locaux ». La raison en est simple : elles n’ont pas obtenu de résultats, et chaque fois que la poussée d’en bas leur donnait plus de force en tendant à une généralisation et une centralisation, celles-ci ont été évitées comme si les directions avaient peur de gagner, car gagner aurait ébranlé, voire renversé, le pouvoir en place. On l’a vu, pour ne pas remonter plus haut, en 2010 et surtout en 2016. Certes, les gens ne raisonnent pas d’une manière aussi stratégique que nous le faisons ici : ils sentent tout simplement qu’il n’y a pas de résultat, donc que ça ne vaut pas la peine.

Dans cette situation, il faut saluer les efforts de la Fédération CGT Commerce et Services qui appelle à la grève dans la branche -les tracts disent en termes réalistes que fassent grève ceux qui le peuvent, au nom de toutes et de tous – « pour dénoncer la dégradation des conditions de travail et exiger le retrait des ordonnances Macron », le mercredi 20 décembre : à Paris, rassemblement devant les galeries Lafayette à 10h30 pour se rendre au ministère du Travail, avec un préavis de grève pour les 60.000 salariés de Carrefour du 22 au 24 décembre, pour « un statut unique » de tous les salariés du groupe, et contre l’annonce qui approche, sans doute pour le 23 janvier, d’un plan de 5000 à 10.000 licenciements.

Si l’élan du 12 septembre était au rendez-vous, les ordonnances Macron ont été adoptées et mises en application le 22 septembre. La dénonciation des syndicats en tant que tels de la part de tel dirigeant politique issu de la gauche a participé pleinement de la division qu’il dénonce. Plus que jamais c’est bien l’action de classe qui seule peut contrer et défaire la politique destructrice de l’exécutif Macron. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale adopté le 5 décembre amorce le basculement des cotisations salariales d’assurance maladie et chômage vers la CSG, qui va augmenter de 1,7% au 1° janvier. La manœuvre consistant à faire baisser le salaire brut pour faciliter les accords d’entreprise dérogatoires au droit commun, comme le veut Macron par ses ordonnances, va se heurter à l’exigence salariale croissante, que la hausse de la CSG va attiser. Dans la fonction publique, le mécontentement est très profond, le désir d’unité d’action évident, et ce ne sont pas les dernières provocations sénatoriales sur les trois journées dite « de carence » qui vont apporter l’apaisement.

L’action de classe ne consiste ni dans la pseudo-guérilla parlementaire (dans ce qui n’est même plus vraiment un parlement), ni dans les manifs le week-end, elle passe toujours par la grève – la vraie grève, celle qui réunit les gens et arrête l’activité. Il n’y a pas de question politique plus importante que celle du regroupement de toutes les luttes « locales » et « partielles » mais si ressemblantes et si communes. Rien ne donne à penser qu’elles vont aller en s’amenuisant : même en restant « invisibles », elles vont continuer, ce qui atteste que le rapport de force fondamental que Macron veut briser, pour faire son choc de compétitivité, ne l’est toujours pas. Comment les aider et les étendre ?

C’est très simple : en les incitant à aller toujours là où se prennent les décisions, chez le patron, chez le chef de service, chez le préfet, chez le directeur académique, chez le recteur, chez le chef de l’ARS, chez le ministre, chez Macron. A partir des revendications réelles et en cherchant toujours à ce que les gens s’expriment, les aider à se diriger contre leur adversaire. Fédérer les forces qui veulent réaliser une alternative de gauche, pluraliste, à Macron, ne se situe pas dans le champ des idées pures ou de la pure politique : cela demande obligatoirement de fédérer celles et ceux qui s’attachent à ce travail là.

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