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Andrée OGER, conseillère départementale communiste de l'Eure Andrée OGER est maire honoraire de Croth, conseillère départementale de Saint André de l'Eure et chevalier de la Légion d'Honneur.

Orange contre rouge, Katyn contre la Colombie : l'indignation sélective des médias

Solidaire

L'actualité de ces dernières semaines, vue par les médias, montre bien que l'information n'est pas neutre, qu'elle dépend de la grille de lecture culturelle et politique du journaliste qui la reprend et de la volonté d'informer ou non sur un sujet.

 

Ukraine contre Thaïlande

 

Premier exemple, la manière dont sont traitées deux "révolutions" populaires, la "révolution orange" ukrainienne de 2004 et le mouvement des "chemises rouges" thaïlandaises.

 

Rappelez-vous ! Le 21 novembre 2004, deux candidats défaits aux élections présidentielles ukrainiennes, Victor Iouchtchenko et Ioulia Tymochenko, dénoncent les résultats et organisent une longue contestation politique avec occupation de la place du Parlement de Kiev. On parle de "révolution orange", couleur des partisans de l'opposition face au bleu des partisans du candidat vainqueur, Victor Ianoukovytch.

 

Pendant plus d'un mois, des centaines de milliers d'ukrainiens vont occuper le centre-ville, sans aucune effusion de sang, et obtenir un troisième tour qui verra la victoire du candidat orange Iouchtchenko et la nomination de Tymochenko comme premier ministre. Pendant toute cette période, les journalistes européens, français notamment, se sont mêlés aux partisans de l'opposition, choisissant clairement ce camps contre celui du gouvernement, présenté comme autoritaire et falsificateur.

 

La réalité est pourtant bien différente.

 

Les élections ukrainiennes de cette année ont d'ailleurs montré ce qu'était réellement le choix des ukrainiens puisque la première ministre orange a été balayée par le "vainqueur" officiel de 2004, le candidat bleu, avec 49 % contre 45,5 %. La politique libérale des oranges allait de pair avec une politique à la fois anti-russes (près de la moitié de la population ukrainienne) et clairement révisionniste (glorification des milices ukrainiennes pro-nazies contre les résistants et l'armée rouge).

 

Le soutien médiatique occidental aux oranges était avant tout l'expression d'une volonté médiatique de soutenir les candidats pro-occidentaux et pro-américains face aux partisans d'une Ukraine plus orientée vers la Russie.

 

Deuxième exemple, les événements actuels en Thaïlande et l'occupation du centre-ville de Bangkok par les "chemises rouges", partisans du premier ministre renversé par l'armée en 2006 Thaksin Shinawatra car accusé de corruption.

 

En Thaïlande, la corruption est endémique et le leader rouge est peut-être effectivement corrompu lui-même.

 

Par contre, le traitement de l'actualité thaïlandaise par les médias est beaucoup plus nuancé que pour l'Ukraine. Que des centaines de milliers de thaïlandais pauvres soient venus de leurs campagnes et des quartiers populaires jusque dans la capitale avec femmes et enfants pour réclamer le départ du gouvernement actuel ne suscite pas l'émoi des journalistes. Que l'armée tire volontairement sur ces civils et tue, y compris des enfants, ne les révolte pas ?

 

Il est vrai que les intérêts occidentaux ne sont pas les mêmes, que le leader rouge tenait des propos qualifiés de populistes par la presse occidentale car favorables aux "petites gens" ! L'occident a tout intérêt a conservé le gouvernement actuel même s'il fait tirer sur son propre peuple, même s'il est aussi corrompu que le gouvernement précédent.

 

Comme en Birmanie, l'occident pourra toujours compter sur l'armée pour "rétablir l'ordre" à sa façon si les choses dégénèrent. Les médias couvriront l'actualité par des reportages laconiques. Sans pleurer le sort des civils tués.

 

Charniers polonais contre charniers colombiens

 

Deuxième exemple, le traitement de sujets dramatiques : le sort des officiers polonais assassinés par l'Armée Rouge en 1940 et la découverte de charniers de civils colombiens assassinés ces dernières années par l'extrême-droite et l'armée colombienne.

 

D'un côté, vous avez un événement passé, tragique, qui s'est déroulé dans une période trouble de l'Histoire et dans un contexte où les Etats en cause ne connaissaient pas vraiment des régimes démocratiques.

Il serait intéressant d'ailleurs de revenir sur le contexte historique, loin d'être aussi simpliste que présenté dans les médias, avec une méchante Union soviétique stalinienne et une gentille Pologne pacifique et démocratique. La guerre russo-polonaise de 1920, les 30 000 soldats russes morts de faim en Pologne et la bienveillante passivité polonaise lors de l'invasion allemande de la Tchécoslovaquie (dont la Pologne annexe une partie du territoire, à cette occasion) sont souvent "oubliés".

 

De l'autre côté, vous avez un pays sud-américain, allié des Etats-Unis donc qualifié de démocratique. Pourtant, chaque année, ce sont des milliers d'opposants de gauche ou de leaders indigènes qui disparaissent en Colombie : indiens et paysans défendant leurs droits à la terre, leaders syndicaux assassinés, candidats de gauche disparaissant avant les élections, prêtres engagés dont on n'a plus de nouvelles, ...

 

Au total, en vingt ans, dans cette Colombie dite démocratique, ce sont 30 000 assassinats politiques et 2 500 disparitions qui ont été reconnus publiquement par les anciennes milices d'autodéfenses (extrême-droite) créées par le gouvernement colombien, soutenues par la police et l'armée et financées par les grands propriétaires terriens et maffieux colombiens. Combien en réalité ?

 

En décembre 2009, une gigantesque fosse commune a été découverte à La Macarena (Meta), à deux cents kilomètres de Bogotá. 1 500 à 2 000 personnes sont enterrées là, des paysans essentiellement, assassinés car refusant de quitter leurs terres. Des représentants du Parlement européen se sont rendus sur place.

 

Quelle en a été la couverture médiatique ? Zéro.

 

Deux charniers, deux traitements différents.

 

D'un côté, des victimes militaires assassinées il y a 70 ans dans une période trouble de l'Histoire.

De l'autre, des victimes civiles assassinées ces dernières années dans un pays qualifiés de démocratique où disparaissent encore aujourd'hui d'autres civils innocents.

 

Les deux événements sont dramatiques et criminels. Les deux méritent des éclaicissements, des explications.

 

Mais, dans un cas les responsables sont dans le mauvais camps (Katyn), dans l'autre cas les responsables sont dans le camps des démocrates (Colombie).

 

Neutralité médiatique ?

 

Oranges contre chemises rouges, Katyn contre Colombie, les traitements médiatiques de l'actualité ne sont pas liés à l'importance des événements, à leur actualité mais à l'intérêt politique ou économique du gouvernement et des propriétaires des médias à mettre en avant un sujet plutôt que l'autre, à le traiter selon un angle plutôt qu'un autre.

 

Dans un contexte de crise du capitalisme où les capitalistes relancent d'eux-mêmes la lutte des classes, les médias sont une arme de désinformation et de propagande au bénéfice de ceux qui les détiennent.

 

On le voit chaque jour sur les retraites ou l'insécurité, c'est aussi le cas sur ces questions internationales et leur traitement.

 

Même si certains journalistes essaient de faire de leur mieux, chacun a sa grille de lecture du monde et doit tenir compte du contexte politique et économique dans lequel il gravite.

 

La neutralité médiatique est un leurre comme l'indépendance de l'Etat. Tous les deux sont soumis au pouvoir de la classe dominante. C'est ce que Marx a mis en évidence dès le milieu du XIXème siècle.

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